7 septembre
5 octobre 2002Dès l’origine, l’œuvre d’art re-présente le réel et elle n’a jamais vraiment quitté cette identité, même lorsqu’elle a mis en cause la figuration. C’est seulement alors le mode de re-présentation qui a changé. Le réel est resté le seul référent de l’œuvre, qu’il s’agisse de la couleur ou de la peinture dans sa matérialité, de l’objet dans son installation ou des procédures et protocoles de l’artiste. L’œuvre double en quelque sorte le réel et ainsi s’en distancie, comme si elle était, si peu que ce soit, un peu moins réelle que lui : elle est l’occasion d’une distance critique où s’enracine son sens.
Dans ce contexte, l’empreinte est davantage encore porteuse de cette aptitude à redoubler le réel que l’image : en redoublant aussi l’échelle et la matière de son référent, elle s’installe comme dans un peu plus d’inutilité face au réel, un peu moins de légitimité à lui appartenir à part entière.
Jocelyn Saint-André produit pour l’essentiel des empreintes. Et plus l’artiste, lorsqu’il les expose, les rapproche de leurs référents, et plus est important le sentiment que l’empreinte se rajoute au réel et qu’ainsi elle se distancie de lui, qu’elle nous invite à une vision du réel dont le réel n’était pas d’abord porteur. Et à l’inverse, plus l’artiste, en la montrant, éloigne l’empreinte de son référent, et plus elle fait figure de réalité dans l’espace de l‘exposition : c’est alors cet espace et la culture dont il est porteur, c‘est-à-dire l’histoire même de l’art, qui se trouve mise à distance, mise en question. Ce jeu autorise le travail de Jocelyn Saint-André à produire une singulière dialectique entre la réalité et la culture.
C’est sans doute parce qu’il nous est impossible de l’enfermer dans un seul regard qui la saisirait à la fois de très près et de très loin, et de toutes les distances, mais aussi de tous les côtés et dans tous les temps, que la réalité du monde résiste à toute spéculation sur sa signification. Et c’est sans doute pour cette raison que l’homme a inventé la représentation, une image certes toujours partielle du réel, mais que l’on peut embrasser d’un seul regard et à travers laquelle on en actualise la totalité : métonymies et métaphores dont les entrelacs subtils nous invitent à une méditation sur le monde et sur nous-mêmes essentielle bien que vaine, dans la mesure où elle est l’héroïsme de notre intelligence face à un réel définitivement inintelligible dans son entier.
Jean-Philippe Vienne