28 janvier
28 février 2004« Je donnerais mille vie pour sauver un seul poireau » 1
La pratique du dessin chez Didier Trenet est incontestablement liée à une rigueur d’exécution. Se référant à des modèles classiques, elle évolue dans une esthétique XVIIIème qui la classe à la suite d’une longue tradition académique (ses œuvres aiment convoquer Fragonard, Hubert Robert ou Watteau). Pourtant Didier Trenet n’est pas un artiste rangé, il utilise les codes familiers aux écoles de dessins pour mieux s’extraire des abîmes d’un conformisme pompeux. Son travail graphique ne se limite pas aux seules esquisses, il se plait également à jouer de la calligraphie pour réaliser des œuvres à l’écrit enlacé, car comme l’énonce la préface d’un ouvrage d’apprentissage : « Le dessin, en effet, a tout particulièrement besoin du concours d’une écriture à la fois régulière, simple et de bon goût. » 2 Si son art renoue avec le « beau geste », c’est d’une manière ludique et transgressive. Les cahiers de méthode qui lui servent parfois de support, avaient pour vocation d’apprendre à écrire selon les règles bien précises énoncées par l’art de la calligraphie. Sorte de manuel pour parfait « écrivain », ils appelaient à la discipline et à l’assiduité, qualités redoutées par Didier Trenet plus volontiers tenté par l’abandon et l’oisiveté. Ces cahiers, il les a néanmoins complétés, proposant ses propres réponses aux différents exercices imposés : « Application : chaque élève écrit son nom et l’initiale de son prénom ». Réplique en écriture cursive d’un style graphique enlevé : « Trenet, D, Danseur de poignet depuis 1985. Quoique souvent repu. Quoique couramment comblé (…) » 3 Impertinence ? À chaque page sa répartie, au gré des digressions de l’artiste ; des onomatopées, des poèmes mais principalement des dessins, des ornements, des végétaux (le poireau est dressé en motif décoratif), des plis saillants et parfois d’anachroniques tuyaux. Didier Trenet tient le rôle du cancre génial dont on imagine le bulletin scolaire : « Didier pourrait mieux faire s’il daignait être attentif. Quel dommage ! ». L’ironie de son propos n’a d’égal que l’application de ses dessins. L’artiste en fait trop, ses boucles se perdent dans le plaisir du geste pour décorer textes et croquis d’entrelacs distingués. On remarque aisément que Didier Trenet s’engage dans une forme d’autorité pour se permettre l’indiscipline. Son art est paradoxal. Ses croquis fragiles relevés dans ses petits cahiers d’écolier, s’étalent parfois sur les murs, acquérant une imposante ampleur comme ce Ouf (1992) au « o » de lettrine extrait de sa page pour être agrandi à 7500 %. Ou encore Le Portail aux révérences (1996) dans lequel deux colonnes crayonnées occupent la hauteur des parois du lieu d’exposition et se mêlent à de « réels » objets (un traversin suspendu, deux poêles en tutus) pour offrir une déconcertante installation hybride, sorte d’arc de triomphe surveillé par des gardes travestis. L’œuvre de Didier Trenet s’appuie sur un trio de pratiques qui se complètent sans se devancer : l’écriture, le dessin, l’installation. Elles interagissent ensemble parfois indépendantes, souvent associées pour offrir une œuvre cohérente qui se plait à rester dans la diversité. Dans un de ses cahiers d’écriture devenu carnet de bord, Didier Trenet nous livre avec humour son Manifeste ; il y constate que l’indécision est un caractère majeur de sa personnalité et par conséquent de son travail : « Si j’avais été un bateau, je crois que je n’aurais pu flotter qu’entre deux eaux. Impossible de me résoudre à la volonté de prendre une direction sans tout de suite regretter les autres directions potentielles ; la vie simple et tranquille du jardinier, l’ambition, la violence, la nonchalance, la prétention, l’humilité, une vie de famille, une vie de moine, la débauche, les sciences, les arts, créer des concepts, communiquer, dieu sait quoi encore !… Je dois être encore bien jeune con. » 4 N.D.L.R. « Jeune » est rayé conformément à la volonté de l’artiste.. Peut-on dire que sa (non) dite jeunesse lui permet son irrévérence ? En tout cas assurons qu’il interprète à merveille son personnage de Candide, ironique et faussement naïf. Ses dessins s’articulent autour d’un vocabulaire qui comprend des éléments récurrents comme les drapés (qui nous rappellent immanquablement sa série de Serpillières, tissus fatigués suspendus par deux clous), les blasons, les colonnes, les tuyaux de poêle… il s’égare parfois à représenter des personnages dans des postures plus ou moins explicites (pensons à ses Assiettes garnies de 1989). Les dispositifs d’arrosage l’intéressent également, il les croque et les met en scène dans ses installations. Équilibre thermostatique des motivations a été réalisé en 1996 dans le patio du musée Boymans-van Beuningen de Rotterdam ; ici un simple tuyau d’arrosage se déroule autour d’un bassin, reprenant les méandres des parterres de broderie des jardins à la française. Des plants de tomates, poireaux et salades ornementent les bordures donnant à l’œuvre une réelle valeur esthétique, à la fois désuète et raffinée 5. On le comprend, l’œuvre dessinée de Didier Trenet ne va pas sans l’écho que lui renvoient les autres pratiques, elle s’inscrit dans une production ouverte qui glisse d’un médium à l’autre pour revendiquer l’indiscipline (dans tous les sens du terme) pour le plaisir. Alors comme ses sculpturaux Jeunes travestis (toujours ces poêles en tutus) qui dansent en rythme lors d’un concert unique, laissons nous entraîner par les cris de l’artiste devenu chanteur et guitariste du groupe de hard rock The Trenet. Secouons la tête au son des distorsions reprenant les chansons devenues saturées de l’homonyme Charles (« Parce qu’il fallait la faire une fois pour toutes ! ») et chantons évidemment bien trop fort : « Ya d’la joie, bonjour bonjour les hirondelles, Ya d’la joie partout ya d’la joie ».
Guillaume Mansart
- Citation tirée d’une œuvre de l’artiste, la faute d’orthographe faisant partie de la pièce, Didier Trenet a évidemment souhaité qu’elle reste intacte pour ce titre. (back)
- A. Druot, préface de la première édition du Cahier-méthode d’écriture, juillet 1912, réédité et complété par Didier Trenet, avril 1995, p.5. (back)
- Ibid, p.27. (back)
- D. Trenet, The Trenet, catalogue édité à l’occasion de l’exposition à l’Espace Jules Verne de Brétigny-sur-Orge, 1996 (back)
- On retrouve dans un cahier un texte titré Équilibre thermostatique des motivations qui énonce : « Jusqu’à l’extrême limite être laxiste, accumuler les dettes, accumuler les jours de paresse, improbable trésor ; exécuter machinalement quelques dessins assez mal faits, les arranger afin de les rendre vaguement artistiques (…) », dans The Trenet, ibid. (back)