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26 JANVIER 2013vernissage jeudi 10 janvier à partir de 18h
Le sujet à mes étudiants fut libellé exactement de la manière suivante, en octobre 2012 : « Pensez à un contexte avec un ou plusieurs personnages, trouvez ou fabriquez à votre façon ce contexte et réalisez un portrait ». Durée pour élaborer un travail : 6 semaines. » Les raisons de ce sujet dans un enseignement consacré au portrait ? Il y a d’abord l’idée d’une fonction sociale de l’art, que le portrait révèle. Et ceci est encore le cas aujourd’hui malgré toute l’histoire de l’art des XIXe et XXe siècles. Elle avait dévalué le genre, souvent pour des raisons idéologiques : le portrait aurait été accaparé par les dominants.
Il y a ensuite mon intérêt pour ce que Michel de Certeau a appelé le murmure des sociétés : venir se pencher, par le portrait, sur le redoublement d’une présence des anonymes qui font la société, son histoire et pas seulement les stars ou les grands de ce monde. Ayant en outre ressenti une lassitude, devant la surabondance des images photographiques, souvent de grands formats, dans le monde de l’art des vingt dernières années, j’ai souhaité proposer à mes étudiants de faire la place, dans le travail plastique, à la durée de l’image en mouvement. Leur travail se ferait selon des formes qui ne seraient ni du cinéma, ni de la photographie. Je leur ai proposé de travailler sur l’idée de portrait assisté en dialoguant avec le modèle, en sollicitant la créativité de ce dernier dans des mises en scène, en jouant du contexte, sans rechercher la neutralité ou l’objectivité. Les jeunes artistes présents ont certes pris des libertés avec le sujet proposé. Le contexte n’est pas forcément présent, mais ils ont joué le jeu de l’implication dans une réalité sociale, qu’il s’agisse du sujet traité ou du rapport aux modèles sollicités.
Marine Caloï montre une vidéo de portrait présentant l’image d’un jeune homme d’aujourd’hui, accolé à un mur. Un texte dit en « off » s’entend dans le déroulé de la vidéo. Les mots viennent décrire le personnage figuré. Marine Caloï nous entraîne, par le récit, vers une curiosité, un désir de connaître quelque chose de la personne portraiturée. Pourtant le texte est sans rapport avec la personne, il ne nous dit rien du modèle représenté. On pense à cette phrase du photographe Thomas Ruff : « Une photo ne peut rien révéler de la personnalité, [… elle] ne fait que reproduire la surface des choses sans jamais pouvoir en saisir le contenu. » On songe aussi à Brecht, à ce qu’il appelle le « mythe de l’immaculée perception ». L’image, seule, ne renseigne pas assez sur le monde affirmait Brecht à propos de la technique du photomontage dans l’esthétique du fragment et du choc des Dadaïstes allemands.
Lola Drubigny s’empare du contexte rural pour renouveler et rehausser une scène de la peinture de genre. Elle vient comme suspendre le temps et l’image par la mise en espace d’un geste sempiternel, et rituel : celui de tuer un animal puis de le pendre à un portique pour que s’écoule le sang. Une femme âgée exécute ce geste précis et décisif. Un portrait se dessine mais laisse vite la place à un monde toujours présent mais occulté.
Fanny Durand travaille sur l’apparat, les parures et l’ostentation des ornements. L’excès débordant de ces attributs formels, elle le convoque, à Interface, pour nous présenter un militaire. Ce que Fanny Durand façonne, en ce portrait hiératique et fantasque de soldat, c’est un trop plein de la forme, un excédent décoratif, un dérèglement d’épaulettes, dont la figure du militaire-oiseau serait le parangon. La taille imposante de l’image projetée, la posture du modèle, l’oscillation des épaulettes-plumeaux, tout concourt à faire de ce portrait un exemple d’esthétique du pouvoir guerrier, traversant les époques en un majestueux et constant superflu.
Lisa Perrin a inventé un dispositif lui permettant – avec la complicité des modèles qu’elle recherche avec patience et volonté – de filmer un visage à travers un bac d’eau translucide. La vidéo qu’elle propose, Je ne sais pas qui je suis mais je ne veux pas que l’on me déforme, produit un trouble, un malaise intérieur, perceptible dans les traits progressivement déformés du modèle. C’est un travail sur le mal-être et la douleur d’une claustration psychique. On ne peut s’empêcher de penser, en regardant l’étal ondoyant de la chevelure du modèle, à l’Ophélie de Shakespeare, notamment à sa représentation par le peintre préraphaélite John Everett Millais.
Joy Prudent nous présente trois portraits en vidéo de femmes, filmées chacune dans un contexte particulier, procurant d’infimes indices sur les modèles. La jeune artiste est ici à la recherche d’une femme commune, s’inspirant pour cela des poèmes de Judy Grahn. « Le lien qui unit les femmes forme un cercle. Et nous sommes toutes à l’intérieur », affirme Judy Grahn. Les filles, femmes ou mères, telles que nous en rencontrons les uns et les autres, tous les jours, sont invitées à poser en vertu d’affinités supposées entre Joy, elles et les écrits de la poétesse. Une voix « off » vient dire les poésies dans le même temps que celui du déroulement des images.
Robert Milin, janvier 2013
cette exposition est une invitation faite aux étudiants de l’école nationale supérieure d’art de dijon – sur une proposition de robert milin artiste et enseignant à l’ensa de dijon ; avec la participation des étudiants du département d’histoire de l’art de l’université de bourgogne – remerciements à bertrand tillier, céline cartigny, coralie salce, pauline mas, aurélie regnault, marion roussey, pauline andlauer et léa zelenkauskis.